Maternité, secret de femme, par Anne Greuzat, photographe
Quelles sont belles les femmes-mousses, les femmes-bouées, les femmes-végétales photographiées par Anne Greuzat. On comprend avec cette artiste à la sensibilité aiguë à quel point la maternité est une grâce. Dans un livre auto-publié intitulé Rhizomes, la photographe, vivant et travaillant à Bruxelles, a juxtaposé de façon très délicate des portraits de femmes enceintes nues et des plantes, des parois de grottes, une végétation luxuriante, forêt d’émeraude, d’humidité et de fécondité.
Un tournesol fané ouvre le bal, indiquant le cycle karmique de la mort et de la renaissance. Une pensée du psychologue des profondeurs Carl Gustav Jung prolonge cette entrée en matière : « La vie m’a toujours semblé être comme une plante qui puise sa vitalité dans son rhizome ; la vie proprement dite de cette plante n’est point visible, car elle gît dans le rhizome. Ce qui devient visible au-dessus du sol ne se maintient qu’un seul été, puis se fane… » Incarnant toute la puissance des femmes portant un enfant, photographiées souvent au terme de leur grossesse, le ventre très rond, les seins gonflés de lait, les portraits d’Anne Greuzat sont un concentré de tendresse et de stupeur fascinée devant l’ultime métamorphose du corps.
Posant dans des intérieurs blancs et nus – draps et murs – ces femmes symbolisant le don de vie sont regardées comme des éléments de la nature, chair de sève et de douce sauvagerie. Des plantes d’eau, une toison de louve nourricière, la marque caractéristique fendant à la verticale le giron, comme un sceau divin. Les bois sont des antres de merveille, où l’héraldique des verts forme les plus beaux blasons qui soient. L’histoire de l’humanité est celle de ses enfantements, et des cris oubliés tout au fond des cavités magdaléniennes.
Rhizomes est un livre-matrice, une sorte de secret de femme offert à quelques initiés ou simplement chanceux (300 exemplaires). Il y a dans les yeux de chacune comme la présence d’un mystère, d’un inconnaissable, voire d’un exil. Nous sommes au moment où le petit d’homme découvrira la lumière avec la première tétée. Plus rien ne compte que cet instant bouleversant abolissant le temps, pendant que les hommes continuent à se faire la guerre.
Nous sommes, comme le rappelle très justement dans son texte Pauline Vidal, dans un espace primordial. On peut fermer les yeux, écouter le silence, et penser peut-être que nous étions il y a quelques années encore l’infans génial de la nature.